Le fait est que, devant le Sénat, le Ministre ne pouvait pas traiter par-dessus la jambe la mise en exergue de quarante ans d’inexistence officielle de la Réunion dans la réflexion du législateur sur la question de l’archéologie. Mais sa réponse ne fut pas à la hauteur des attentes mises en avant par la question. Je passe sur le fait qu’à la question technique et précise de la sénatrice il répond par un exercice de communication consistant à jouer la carte de la compassion pour les Réunionnais théoriquement les plus concernés par la carence dans ce domaine. Sur le fond du sujet, je relève quatre points dignes d’intérêt :
1 – Lorsque le Ministre signale l'existence d'une recherche archéologique à la Réunion, son argumentation n’est pas des plus heureuses. Dans la zone d’intervention française du sud-ouest de l’Océan Indien, les fouilles archéologiques notables ayant contribué à une meilleure approche historique et ethnologique d’un territoire sont à l’actif de chercheurs de l’INALCO dans l’archipel des Comores. C’est la campagne sérieuse de fouilles à Dembeni en 1990 qui a incité la France à officialiser, en 1994, l’existence de Mayotte - même si elle n’était pas un DOM - dans le dispositif archéologique national. A la Réunion, en revanche, l’amateurisme et l’improvisation ont abouti à des pertes irrémédiables pour la connaissance de notre passé en 1978, 1983, 1999, 2000, 2001, 2005 et au désintéressement de Paris pour la normalisation de notre situation.
2 – Et en citant l’intervention archéologique de 2007 à Saint-Paul, le Ministre s’appuie sur un très mauvais exemple pour montrer que l’inexistence d’un service archéologique à La Réunion n’empêche pas que l’Etat assume ses responsabilités. Sans entrer dans les détails qui se trouvent dans l’analyse que j’ai mise en ligne ici même
(lire), je répèterai ici que la façon dont a été traité le site archéologique révélé par la houle cyclonique de Gamède illustre parfaitement les conséquences du déni archéologique dont souffre la Réunion et que j’ai stigmatisé en plusieurs occasions depuis bientôt cinq ans.
En tapant sur un moteur de recherche internet les mots
« archéologie » et
« la Ciotat », chacun peut en effet avoir une référence du sérieux en matière de fouilles et comparer avec ce qui s’est fait à Saint-Paul. A la Ciotat un important chantier sur l’ancien cimetière paroissial dure depuis un an ; à la Réunion, sur la découverte d’une nécropole non recensée, l’intervention a été bouclée en trois jours. On pourra rétorquer qu’à la Réunion il s’agissait d’une intervention fortuite alors qu’à la Ciotat il y a eu programmation de l’action. Mais à Saint Paul, l’urgence scientifique était d’autant plus grande qu’on ne sait pratiquement rien des pratiques funéraires des deux cents premières années de notre histoire. Une intervention digne de ce nom eût, pour le moins, contribué à nous épargner quelques polémiques et zizanies - et pourquoi pas des contre-vérités - sur la question des sépultures de nos ancêtres.
3 - Autre argument qui ne surprendrait que quelqu’un qui n’est pas au fait de l’évolution de la structuration de l’archéologie nationale : la présentation, comme une avancée pour la Réunion, de la création, en 2007, de la commission interrégionale de la recherche archéologique outre-mer. Il s’agissait, précisément, d’une adaptation du dispositif existant depuis 1994, puisque aux services régionaux d’archéologie de la Guyane, de la Martinique et de la Guadeloupe ne correspondait pas, au niveau national, de CIRA adaptée à la réalité archéologique de ces trois départements, comme c’était le cas pour les autres groupes de SRA. Et même si la Réunion figure parmi les territoires concernés par cette CIRA, la composition même des membres de la commission dont le siège est en Martinique montre que sa création a été dictée par l’archéologie de la zone Antilles-Guyane. A preuve, un spécialiste en archéologie coloniale compétent en histoire des Antilles et trois spécialistes du précolombien. Le quatrième spécialiste est l’anthropologue dont j’ai commenté l’intervention de 2007 à Saint-Paul. D’ailleurs, comment en serait-il autrement puisque la CIRA, organisme consultatif, travaille en étroite collaboration avec le SRA, structure n’existant pas à la Réunion.
4 - Dès lors, que dire de l’annonce du Ministre
« d’étudier, avec le Préfet de région et le Directeur régional des affaires culturelles, la perspective d'ouvrir dans les meilleurs délais un poste de conservateur régional de l'archéologie chargé de la Réunion au sein de la direction régionale des affaires culturelles » ? D’abord qu’elle rappelle étrangement…trois ans après ! l’annonce faite au président du GRAHTER par la direction de l’architecture et du patrimoine dans un courrier du 15 mars 2007 :
«J’envisage également la possibilité de renforcer le secteur du patrimoine par un poste d’archéologue.»
Comment ne pas relever la subtile continuité de formulation entre
« j’envisage la possibilité » et
« étudier la perspective d'ouvrir dans les meilleurs délais » quand on sait qu’entre-temps le déficit de la France s’est creusé, que la crise a contribué à aggraver la situation et que la préoccupation du gouvernement est de dégraisser la fonction publique ?
Mais à supposer que la réflexion ait eu lieu et que les crédits afférents puissent être dégagés, et compte tenu de ce qui a été dit plus haut, cette annonce démontre la surprenante liberté que le Ministre prendrait avec les textes, en particulier la circulaire du 2 décembre 1987 relative au fonctionnement et à l'organisation des DRAC et la circulaire du 7 octobre 1991 relative à l'organisation des services régionaux de l'archéologie. Comment pourrait-il, en effet, créer un poste pour un cadre A - ayant le même rang hiérarchique qu’un conservateur du patrimoine - si le service sans lequel ce chef de service serait inefficace est inexistant ? C’est que, de plus en plus, le service régional d’archéologie est impliqué dans l’aménagement du territoire et ses tâches spécifiques sont de plus en plus lourdes. Et à La Réunion, tout est à faire, à commencer par ce document indispensable à un aménagement du territoire dans le respect du patrimoine archéologique : une carte archéologique exhaustive, inexistante à ce jour, tributaire du travail d’un technicien ouvert à l’interdisciplinarité.
Il n’y a donc pas lieu de se réjouir de cette annonce du Ministre qui, compte tenu des compétences de ses services et de ceux de ses partenaires affichés, ne peut être attribuée à la méconnaissance du sujet, mais relève objectivement d’une tactique dilatoire équivalant à une réponse négative. Et la bataille reste d’autant plus difficile à mener que Paris sait que même la majorité de ceux qui, ayant voix au chapitre, tiennent des discours volontaristes sur l’identité réunionnaise, n’ont pas encore pris la juste mesure du manque à gagner que représente l’inexistence de cette spécialité pour une approche moderne de l’histoire populaire de la Réunion.
R. T.