Lorsque mon arrière-grand-mère illettrée me racontait des zistwar dann tan lontan, elle présentait Madame Desbassyns comme une figure du mal. Ce fut mon premier contact avec le passé de la Réunion. Plus tard, la tradition écrite réunionnaise à laquelle j’eus accès me présenta, à travers les témoignages de notables, la même Madame Desbassyns comme « la Seconde Providence ». Confronté au choc entre ces deux regards irréductibles, écartelé entre le choix sentimental de mon enfance et la prégnance de la culture de l’écrit sur l’adulte que j’étais devenu, je fus d’abord plongé dans la perplexité. Ne pouvant me résoudre à considérer ma culture familiale comme disqualifiée, je me mis à lire tout ce que je pus sur l’Histoire de la Réunion pour y trouver des réponses à cette contradiction majeure. Et je me rendis compte que dans les zistwar de mon enfance il y avait un peu d’Histoire, et que dans les contributions écrites à l’Histoire de mon pays il y avait une part évidente de zistwar. Dès lors, débarrasser l’Histoire écrite des zistwar qui dénaturent la compréhension d’un parcours identitaire dont nous sommes héritiers est devenu à mes yeux une nécessité. Mais comment, diront les jeunes Réunionnais qui ont peur de se lancer dans des études d’Histoire? Tout n’a-t-il pas été dit ? L’exemple que je leur présente ici, sur un point mineur de notre Histoire, est la preuve qu’une relecture critique des documents originaux indispensables à une meilleure connaissance de cette Histoire est possible, nécessaire et urgente. .............Roger Théodora
______________________________________________
Et si Antoine Couillard n’était ni Antoine Thaureau, ni Marovoulle?
De nombreux historiens, même les plus sérieux, ont souvent confondu Antoine Couillard et Antoine Thaureau (1). D’où vient cette confusion ? Elle vient probablement du fait que les deux hommes avaient le même prénom, Antoine, et aussi que le surnom Marovoulle, donné à celui qui fut exilé à Bourbon, est resté empreint d’un certain mystère aux yeux de ceux qui n’ont eu qu’une lecture sommaire de l’Histoire de la Grande Isle Madagascar de Flacourt .
En effet, lorsque Marovoulle se rend par deux fois responsable de vols, le 30 janvier 1654 et le 12 mars de la même année, Flacourt ne donne pas le vrai nom du personnage, se contentant de la formule
«un Français, duquel je tais le nom, nommé par les gens du pays Dian Marovoulle… »
Il appartenait donc à ceux qui eurent entre les mains le récit de Flacourt de faire la lumière sur la véritable identité de ce Marovoulle.
L’intérêt de la réédition de 1995 c’est que la présentation et l’annotation de Claude Allibert(2) bénéficie de la contribution du manuscrit de Vogüé auquel il est le premier commentateur à avoir accédé. Et sur le point nous concernant, Allibert précise dans une note sur l’épisode du premier vol commis par Marovoulle:
« On a déjà pu remarquer plus haut (chapitre LIV) que Flacourt avait systématiquement tu le nom français de Rainikazo: « Un Français dont je tais le nom » écrit-il. Grâce au manuscrit de Vogüé, nous connaissons maintenant la véritable identité de ce personnage, Claude Hattier. Il en va de même pour l’autre Français, de son nom malgache Marovoulle. Il s’agit de Couillard et non pas d’Antoine Taureau comme croyait Grandidier et dont un mémoire sur Bourbon est inséré au chapitre LXXXVIII. Couillard, rappelons le, s’était vu confier le commandement du fort par Flacourt quand ce dernier tenta de se rendre en France avec la barque.»(3)
Cette observation reprend une introduction, dans le contexte général, des éclaircissements apportés par le commentateur dans la partie consacrée à présentation de l’œuvre de Flacourt.:
« Il allait lui-même connaître “les murmures”. Aujourd’hui que nous connaissons mieux les faits et surtout l’identité des Français que Flacourt dissimule derrière des noms malgaches (Ranicaze et Marovoulle, alias Hattier et Couillard), nous pouvons comprendre combien il lui fallut affronter des tensions sérieuses, voire de quasi-révoltes compliquées de trahisons. Il avoue lui-même ne pas avoir toujours bien su placer sa confiance. Ce fut Couillard qu’il choisit à tort pour le remplacer au commandement du Fort quand il tenta de se rendre en France avec la barque.
En outre, il fut trahi par Hattier, probablement un des meilleurs interprètes qui avait, par attachement à la culture malgache, fait sienne la maxime traduttore, traditore en l’appliquant à son comportement. La confiance qu’il avait mise en eux laisse supposer que ces deux hommes — d’authentiques adversaires, voire ennemis — n’étaient pas les plus stupides du groupe, comme leurs compétences le laissent deviner. Il n’en vint à bout que lorsqu’il fut aidé par les fièvres qui terrassèrent Hattier et en déportant Couillard à Bourbon.» (4)
Pourtant on ne trouve pas dans ces deux paragraphes les éclaircissements attendus. Confrontés au texte de l’édition de 1661 de Flacourt, les commentaires d’Allibert n’échappent pas aux incohérences : comment en effet, si l’exilé de 1654 avait été Couillard, aurait-il pu être l’auteur du « Mémoire du Sieur Antoine Thaureau touchant l’Isle de Bourbon ou autrement Mascaregne » donnant une description très personnalisée de son séjour à Bourbon ?
« En attendant la saison de planter, nous prîmes la résolution de faire le tour de l’isle, un autre Français et moi…. »(5)
Et comment ne pas être interpellé par l’absence du nom de Couillard de la liste des huit Français qui furent déposés à Bourbon par l’Ours et dont le manuscrit donne les noms : Simon du Parcq, Claude Farrobbe, Jean Loiseau, François Gomet, Pierre Throude, Lavigne, La Bretonnière, Antoine Thaureau.(6)
En réalité, en dépit de l’authenticité du document comme étant de Flacourt (7), le manuscrit de Vogüé suscite chez Allibert des interrogations qui prouvent que le document n’apporte pas de réponses définitives sur tous les points non encore élucidés et donne à la version de l’identification de Marovoulle à Antoine Couillard une crédibilité toute relative.
En effet, nous dit Allibert,
« Il semble donc que ce manuscrit a été précédé d’un autre, probablement de la main de Flacourt lui-même, et correspondant plus à la rédaction des faits journaliers au quotidien.(…)
Le manuscrit de Vogué est donc parfaitement authentifié. Cependant, l’écriture du texte calligraphié n’est pas de la même main. Il est très probable qu’un scribe ou secrétaire aura recopié le texte qui, parce qu’il ne comporte aucune rature, laisse penser que le véritable manuscrit est encore à retrouver(…) » (8)
Et il en tire un premier enseignement :
« il
semble donc que ce manuscrit a été précédé d’un autre, probablement de la main de Flacourt lui-même, et correspondant plus à la rédaction des faits journaliers au quotidien (…) » (9)
Et voilà que la quasi certitude fait place à la perplexité, justement à propos du point concernant … Couillard :
« Pourtant, s’il ne s’était agi que d’une seconde mouture préalable à l’impression, on ne comprend pas pourquoi des informations que Flacourt voulut faire (et fit) disparaître à l’édition y figureraient, comme certains noms (Hattier, Couillard) et certains propos (…)»(10)
Et de tenter l’explication :
«Nous sommes donc pris entre deux hypothèses, celle du manuscrit authentique (ou plutôt du journal ou carnet de bord) et celle du manuscrit de seconde main. Il se pourrait qu’une troisième lecture s’accorde avec les deux précédentes. Flacourt aurait fait réécrire à partir de ses carnets authentiques un manuscrit avant composition chez l’imprimeur(…)(11)
Le manuscrit de Vogué, en définitive, semble être le résultat de la compilation, de la collation de carnets de notes par un secrétaire sous la direction de Flacourt lui-même. Le contenu du manuscrit comparé à l’édition de 1658 ne peut laisser de doute sur la probable existence d’un autre manuscrit intermédiaire ayant introduit le voyage aller et éliminé les noms gênants ainsi que les textes en latin et portugais. Mais il se peut aussi, vu les redondances dans l’édition dues au déplacement des plantes en particulier, que l’imprimeur ait introduit les modifications sans s’appuyer sur un nouveau texte.»(12)
Le doute subsistant, seule une analyse de texte pointue des passages du mémoire où il est question des intéressés peut nous aider à faire la lumière sur cette énigme. Car il apparaît à la lecture de l’ouvrage que la solution se trouve dans des détails fournis par Flacourt sur les situations ainsi que dans les éléments d’appréciation consignés directement ou indirectement par Flacourt sur les deux protagonistes.
Part d'Histoire, part de zistwar:
florilège.
"Antoine Couillard, dit « le taureau », dit « Marovoule », est un personnage historique, réellement exilé à Mascareigne pour indiscipline : cette histoire vraie est contée dans l’Histoire de la Grande Isle de Madagascar de Flacourt (1661)" [p. 29]
"Faut-il le regretter? Antoine serait peut-être dans pire prison s’il était resté à Nantes. Antoine Couillard, dit le taureau… avec un nom comme ça, on ne peut qu’être voué à la bagarre.(...)
De ces confrontations, où le muscle compte autant que le caractère, il avait ramené son surnom de « marovoule », « longs cheveux » ; auprès des femmes aussi, il avait fait sensation." [p. 30] Vingt-et-un jours d'histoire, île de la Réunion, Azalées éditions, Saint-Denis, 1995, 181 p
ce seul individu alors que cette caractéristique n’était exceptionnelle ni chez les Malgaches, comme le signale Flacourt :
« Les Ondzaisis ont la peau rouge aussi, et les cheveux longs comme les Roandrian et Anacandrian… » (21)
ni chez certains Français qui, à commencer par Flacourt, avaient une longue chevelure naturelle … ou artificielle.
En outre, pourquoi Marovoulle aurait-il été, sur ce simple détail physique, considéré par eux comme un personnage sortant de l’ordinaire au point qu’ils lui marquent une certaine déférence en l’appelant Dian Marovoulle.
En revanche, en parlant de l’intéressé comme d’un intrigant, c’est bien la description de Dian Màrovòla que Flacourt fait. Et cet homme dont le gouverneur dit qu’il allait souscrire à la demande d’être éloigné de Fort Dauphin, c’est Antoine Thaureau dont le nom figure dans la liste de ceux qui furent envoyés à Bourbon le 10 septembre 1654 pour y cultiver du tabac. Thaureau ne commence-t-il d’ailleurs pas son mémoire sur l’Isle de Bourbon en ces termes qui font étrangement écho à la version de Flacourt citée plus haut ?
« Le dixième de Septembre 1654, je m’embarquai par l’ordre de Monsieur de Flacourt notre Commandant et Directeur de la Compagnie, de mon consentement et par la prière que je lui en avais faite, dans le navire l’Ours, pour aller demeurer dans l’Isle de Bourbon anciennement nommée Mascarègne avec sept autres Français et six Nègres, qui nous y ont aussi suivis.»(22)
A la différence de Couillard, Thaureau choisit de s'allier aux Malgaches
Mais, dira-t-on, cela n'éclaircit pas tout le mystère sur l’identité de Marovoulle ?
La première fois que Flacourt parle de l’homme, le 30 janvier 1654, c’est à propos d’un vol que ce dernier commet avec la complicité d'un Malgache.:
«Un Français, duquel je tais le nom, nommé par les gens du pays Dian Marovoulle, qui est un homme fort enclin au larcin, s’en alla seul à la nage dans ce bateau, apporta à terre le panier, y prit les menilles d’argent et de cuivre et autres brouilleries, referma le panier et le reporta au bateau ».(23)
Pour comprendre que Marovoulle n’était pas Couillard, Il est intéressant de savoir que Flacourt confia à Couillard, un mois après la découverte du complot et quinze jours après l'affaire du vol, la mission de mettre fin aux vols de bétail et tentatives de débauchage des Malgaches alliés au Gouverneur qu’avait entrepris un des hommes de Dian Tserongh:
« J’envoyai le sieur Couillard avec douze Français pour le saisir, et pour prendre son bétail, ce qu’il fit.»(24)
Un mois plus tard, le 12 mars, toujours avec la complicité d'un malgache, Marovoulle récidive. Il ne s’agit plus cette fois d’un simple larcin mais du début d’une entreprise de déstabilisation de la colonie française de Fort Dauphin.
« La nuit, on rompit la maison du sieur de Vin notre Apothicaire et l’on enleva son fusil, sa poudre et son plomb, un coffre et des chemises ; ce qui nous mît toute cette nuit en alarme, l’on reconnut par les pas, que c’était un Français nommé par les gens de ce pays, Dian Marovoulle, dont je veux taire le nom , avec ceux d’un Nègre, et depuis je sus assurément que c’était lui, par la bouche même de Dian Panolahé, ainsi qu’il se verra ci après (…)
« Le deuxième Avril, jour du Jeudi Saint, j’eus avis que le fusil volé chez le sieur de Vin avec le coffre avait été enlevé par Marovoulle qui avait épié l’occasion que le sieur de Vin était allé passer la soirée chez quelque Français, d’autant que le fusil était très bon, et qu’il avait, à l’aide d’un nègre, fait ce larcin, et qu’ayant dessein de se ranger sous les Roandrian et quitter cette habitation, il leur avait envoyé ce fusil, deux pistolets, environ deux cents balles de plomb, deux cornes de poudre, des plats d’étain, et des chemises pour présent, et pour arrhes de sa fidélité en leur endroit, et de sa perfidie à mon égard, il leur envoya dire par ce Nègre qu’ils envoyassent ici dans les bois prochains quelque cinquante hommes. qu’il leur livrerait ma tête, ou celle d’un des plus hardis Français, en cas où il ne me pût tuer en trahison. J’arrêtai moi-même Marovoulle et lui fis mettre les fers aux pieds, le fis enfermer dans une maison de pierre. Ce fut bien à propos, car, dès lors, les cinquante hommes étaient dans les bois proches du fort qui tuèrent un Nègre le jour de Pâques(…)
« J’appris depuis par la bouche même de Dian Panolahé, la mauvaise intention de Marovoulle(…) et il m’envoya dire, quelque temps après par un de ses hommes(…) que Ranicaze n’était pas mort, mais qu’il était ressuscité en la personne de Marovoulle, lequel avait été en ce pays le principal boute-feu de la guerre(…)
Marovoulle se voyant pris, m’écrivit des lettres, par lesquelles il me suppliait de l’élargir et que si je ne l’ôtais hors des fers, qu’il se ferait mourir lui-même, pensant m’émouvoir à compassion ou bien comme il se sentait coupable, il appréhendait que je ne susse la vérité du tout, car il fut longtemps à savoir que j’eusse rien découvert de son fait ».(25)
Dian Marovoulle n’est donc pas Antoine Couillard mais Antoine Thaureau. Et s’il subsiste des points d’ombre, ils résident dans l’obstination de Flacourt à taire, dans le récit des faits impliquant l'intéressé – pour quelle raison? - le véritable nom de Dian Marovoulle et à faire preuve d’une mansuétude certaine devant l’entreprise séditieuse de celui-ci. On peut dès lors s’interroger sur la personnalité de Thaureau, sur ses rapports avec Flacourt ou avec d’éventuelles relations influentes qui lui ont permis de se tirer à bon compte d’une situation très compromettante…à ce propos, la remarque faite par Allibert sur les noms effacés résonne étrangement ! Et l’intégration du Mémoire sur l’Isle de Bourbon à l’ouvrage de Flacourt après 1658 (26) dans l’édition de 1661, c'est-à-dire après la mort de Flacourt paraît, dans ce contexte, plutôt incongrue.
Voilà qui ouvre de nouveaux horizons à la recherche tout en mettant un terme à une confusion due à une lecture subjective que les historiens qui ont à eu à parler des événements de 1654 firent de Flacourt. Le folklore y a trouvé son compte au détriment de la vérité historique, atteignant parfois une dimension digne des perles de la Foire aux cancres de Jean Charles. Le problème c’est que ces perles ont été proposées aux élèves des écoles et collèges de la Réunion à travers des livres tels que « vingt-et-un jours d’histoire »(27) qui ont été pris par certains enseignants comme références de l’Histoire de la Réunion.
Notes:
1 - C'est l'orthographe correcte du nom. Le patronyme Thaureau semble être originaire d'Indre et Loire. Le patronyme Couillard serait originaire de Normandie. C'est donc, à la lecture du récit de Flacourt et du mémoire de Thaureau, un premier indice remettant en cause l'amalgame entre Thaureau et Couillard.
2 - Etienne de Flacourt, Histoire de la Grande Isle Madagascar édition présentée et annotée par Claude Allibert, Editions Karthala, Paris 1995, 656 pages.
3 - Idem, Appareil critique, note 2 portant sur le chapitre LXX, page 584
4 - ibidem, Tradition et modernité à Madagascar. Présentation de l’œuvre d’Etienne de Flacourt, page 43
5 - ibidem, Chapitre LXXXVII [f°. 432] page421
6 - ibidem, Chapitre LXXIX note 1 page 590.
7 - « L’écriture est parfaitement calligraphiée, sans rature à quelques rares exceptions, et ne semble pas de la main de Flacourt si on utilise sa signature comme critère de comparaison. Il est fort probable que nous avons là la dernière mise au propre du texte présenté sous cette forme à l’éditeur… » ibidem, page 24
8 - ibidem, Tradition et modernité à Madagascar. Présentation de l’œuvre d’Etienne de Flacourt, page 24
9 - ibidem, page 24
10 - ibidem, page 30
11 - ibidem, page 30
12 - ibidem, page 31
13 - ibidem, Chapitre LXXIII [f°. 372] page380
14 - ibidem, Chapitre LXV [f°. 355] page368
15 - ibidem, Chapitre LXVI [f°. 359] page371
16 - ibidem, Chapitre LXIX [f°. 362]. Page 373
17 - ibidem.
18 - ibidem
19 - ibidem
20 - Histoire de la grande isle Madagascar, édition Karthala 1995, page 43 note 2.
21 - Idem, livre 1, chapitre XVI [f°. 47] page 145
22 - ibidem, Chapitre LXXXVII [f°. 431 ] page 421
23 - ibidem, Chapitre LXX [f°. 365] page 375
24 - ibidem, Chapitre LXX [f°. 366] page 376
25 - ibidem, Chapitre LXXIII [f°. 370, 371, 372, 373] pages 379 à 381
26 - Dans les notes sur le chapitre LXXXVII correspondant au mémoire de Thaureau, Allibert signale que ce chapitre ne figure ni dans le manuscrit de 1656, ni dans le texte de 1658. Il ne pouvait en être autrement puisque c’est seulement à l'arrivée de Thaureau à Maderaspatan le 12 juillet 1658 que se présenta à lui l’opportunité de faire acheminer son mémoire jusqu’à Paris, et que si Flacourt le réceptionna, ce qui n’est pas prouvé, ce fut au plus tôt en avril 1659.
27 - voir plus haut dans l'encadré intitulé part d'Histoire, part de zistwar:florilège.
................................Roger Théodora, 21 mai 2008. ....... © - copyright lansiv-kreol.net 2008
Une analyse instructive de la chronologie des faits.
La chronologie des faits et l’analyse approfondie des éléments mis jusqu’à présent en exergue permettront de débrouiller l’écheveau.
En juillet 1650, Flacourt savait déjà que le jeu de Ranicaze n’était pas clair et il eut vite confirmation qu’il était de connivence avec certains Malgaches tel Dian Tserongh, Dian Machicore et Dian Panolahé avec lesquels le Gouverneur avait des relations pour le moins tumultueuses. S’il n’est pas fait mention de Marovoulle du vivant de Ranicaze, il n’en reste pas moins qu’en 1654, après l’arrestation de Marovoulle, Flacourt écrit :
« J’appris depuis par la bouche même de Dian Panolahé (…) que Ranicaze n’était pas mort, mais qu’il était ressucité en la personne de Marovoulle, lequel avait été en ce pays le principal boute-feu de la guerre.»(13)
Parallèlement, dans le mémoire de Flacourt, Antoine Couillard apparaît comme faisant partie du cercle rapproché de l’intéressé qui lui délègue des missions de confiance.
La première fois, le 10 septembre 1653, Flacourt envoie Couillard à Endravoulle se saisir de la personne de Dian Machicore. (14)
Une nouvelle mission est confiée en octobre à Couillard.
« Le vingt-deuxième octobre, j’envoyai le sieur Couillard à Maromamou, où il fit mourir les deux Anacandrian pour leur trahison , et alla visiter le riz qui était mûr, afin de le faire cueillir,et tenir la campagne, attendant que l’on pouffait cueillir le riz qui était sur la terre et faire tête à ceux qui viendraient de la part de Dian Tserongh, et Dian Panolahé pour le gâter. J’envoyai avertir Dian Machicore de .de faire prendre garde à ceux d’Imanhal, d’Andravoulle, et à ceux d’Adcimou, autrement que je l’en rendrais responsable de la tête de son fils que je tenais en otage pour cela.»(15)
Il est évident que dans ce contexte tendu et sachant que de son vivant Ranicaze avait joué le double jeu, la constance de Flacourt à confier à Couillard des missions sensibles montre qu’il avait en ce dernier une grande confiance parce qu’aucun signe ne pouvait laisser soupçonner une quelconque connivence avec Ranicaze. Au demeurant, Couillard s’acquitte de ces missions avec la plus grande conscience.
Intervient ensuite, le 13 janvier 1654, un événement qui jette le trouble dans la communauté des Français de Fort Dauphin. En effet, souhaitant se rendre en France pour y plaider la cause de la colonie, Flacourt désigne
« Antoine Couillard pour, en mon absence, commander les Français, et le nommé La Roche, pour son lieutenant ».(16)
Flacourt ne se doute pas que cette délégation du commandement - qui confirme une fois de plus la confiance qu’il accorde à Couillard - entrainera une situation confuse : plusieurs Français de Fort Dauphin
« se mirent à dire que puisque je leur avais donné un commandeur, ils ne voulaient plus m’obéir…»(17)
La suite du récit de Flacourt, qui semble avoir été lue superficiellement par plusieurs comentateurs, montre qu’un plan avait été échafaudé pour tenter de créer une rivalité entre Couillard et Flacourt mais que Couillard n’en était pas partie prenante. En effet dit Flacourt, le 19 janvier,
« à cause des impertinences de quelques brouillons et inconsidérés libertins, je les sommais de me prêter tous serment de m’obéir, comme ils y étaient obligés. Je commençai par les sieurs Angeleaume, Couillard et La Roche qui se levèrent et me dirent qu’ils m’obéiraient toujours et ne reconnaissaient ici d’autre maître et commandant que moi, et ainsi ils suivirent tous d’une voix ; il y en eut quelques-uns qui me prièrent de croire que, s’il y en avait qui avaient laissé aller quelques paroles impertinentes, je ne les comprisse pas de ce nombre» (18)
En revanche, poursuit le Gouverneur,
« Un autre, qui croyait être des plus raffinés, avait fait demander au sieur Couillard si, dans la commission que je lui avais donnée pour commander en mon absence, j’avais mis la clause “jusques à mon retour”, que, si je ne l’avais mise, il me pouvait exclure et les Français ne me devaient pas obéir, mais que si cette clause était dans la commission, ils étaient obligés de m’obéir et non à lui ; ainsi toute ma fortune, à leur avis, dépendait du subtil raisonnement de ce coquin. C’était un de ceux qui me demandèrent à passer à Mascareigne, pour y aller faire culture de tabac, où je l’envoyai depuis dans le navire l’Ours.» (19)
La lecture de ces paragraphes ne laisse aucun doute. Cet « autre », ce « coquin » ne peut être Couillard. Il ne peut être Ranicaze non plus puisque celui-ci est mort en 1650.
Par contre, bien qu’aucun nom ni surnom ne soit cité à cette occasion, Flacourt donne de précieuses indications sur l’identité du coquin « qui croyait être des plus raffinés » et dont le gouverneur détaille le « subtil raisonnement » : en somme, un intrigant à la rhétorique habile à jouer sur les contradictions et à les exacerber pour tenter de créer des rivalités et en tirer profit, un « Marovoulle».
La vraie signification de "Marovoulle"
Car bien que la tradition ait choisi, hors contexte, le malgache màrovòlo correspondant à beaucoup de poils ou de cheveux, Allibert(20) n’écarte pas màrovòla (celui qui parle beaucoup) ou (celui qui a beaucoup d’argent). Se doute-t-il de l’interprétation erronée du nom Marovoulle commise par ses prédécesseurs ? En tout cas, il laisse, avec raison, le champ ouvert à l’interprétation, ne s’étant pas lui-même étendu sur la question. Et il a raison de ne pas réduire comme l’ont fait certains auteurs tels Brunet et Vaxelaire l’identification du personnage à des détails physiques.
C’est que la confrontation du récit de Flacourt, du contexte culturel et sociologique malgache et de l’iconographie de l’époque permet, n’en déplaise aux dessinateurs et romanciers des années quatre-vingt, d’éliminer définitivement la représentation d’un marovoulle chevelu.
En effet, pourquoi les Malgaches auraient-ils été frappés par le détail de la longue chevelure chez
|
||||||||||||
|
||||||||||||
|
||||||||||||