L'histoire du café pointu de Bourbon:
trois siècles d'avatars d'une plante endémique réunionnaise

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Quelques points de repère :

1710 La Compagnie des Indes Orientales a un projet de plantation de café à Bourbon.
1711 Louis Boivin d’Hardencourt constate que du café pousse à l’état sauvage à Bourbon.
1715 Vingt pieds de café de l’espèce arabica en provenance de Moka sont débarqués à Bourbon. Un seul survit. C’est lui qui est, pour une part importante, à l’origine de la variété qu’on appellera Bourbon. Le 5 décembre de la même année, un arrêté de Justamond oblige chaque habitant à planter 100 plants de café sauvage autour de sa case.
1717 Début de la traite intensive de la main d’œuvre esclave.
1718 Distribution des premiers plants de moka aux habitants
1723 Mise en place du code noir.
1724 Bourbon exporte 1.700 kg de café. La Compagnie n’accepte plus que les habitants fournissent du café sauvage et le Conseil Supérieur menace les concessionnaires qui ne planteront pas au moins 200 caféiers de Moka.
1734 La production est de 448.000 kg. Elle augmentera jusqu’à atteindre 2.440.000kg en 1827. Avec l’extension de la culture de la canne, la production de café ira ensuite en diminuant jusqu’à ne plus être que de 100 kg en 1950.
Ce café pointu de cinq ans fait partie d'un lot de baies récoltées sur un arbre cohabitant avec des cafés marons dans un lieu jamais cultivé et difficilement accessible. Il a été étêté plusieurs fois dès l'âge de trois ans. Où est le nanisme? [Photo R.Théodora in la Réunion et le café page 63]
« C’est dans cette île que j'ai vu l'arbre qui porte le café. Et il y en a de deux sortes : Celui qu'on a découvert dans l’île et celui qu'on y a apporté de Moka. Le premier est de la taille d'un pommier ordinaire. Gaubil, 1721

Arbuste au port très ramifié…de forme pyramidale, ayant 2 mètres de haut (depuis la plantation, le sujet a été étêté plusieurs fois) Marc Rivière, 2006

Au niveau morphologique, elle [la variété] se caractérise par un nanisme… Aurélie Lécolier, 2006

Détail des branches
Ses branches moins rameuses et plus rapprochées se détachent toutes d’une tige commune: leurs noeuds sont éloignés les uns des autres ce qui en rend le produit plus abon­ dant. Auguste de Villèle vers 1920.
Entre-nœuds courts : 3 cm ,Marc Rivière en 2006 (voir photos)

A gauche, rameau de Bourbon rond coeurs roses, à droite, rameau de pointu de Bourbon. On distingue bien la différence de taille des entre-noeuds [ Photo R.T]

Analyse faite au début du XXe siècle: Il [Auguste de Villèle] décide de faire doser(…)la caféine des trois caféiers: Arabica, Mauritiana et Leroy. L’analyse donne les résultats suivants: le café (marron) primitif, 0/00.000 de le café rond ou arabica, 0,820, le café Leroy, 0,440. [source: Histoire d'une renommée p. 149]

En décembre 2006, des grains de pointu prélevés en forêt par Marc Rivière ont été confiés à la maison Malongo qui en a fait analyser la teneur en caféine. Un rapport du laboratoire en date du 4 décembre 2006, révèle que l’échantillon contenait 8430mg/kg de caféine, soit 0,843

J’ai vu sortir de l’un et de l’autre de ces cafés cette huile dont l’exhalaison produit cette odeur avec cette différence à l'avantage du café de l’île Bourbon qu’il fournit une quantité plus abondante de cette huile et qu’il conserve plus longtemps ses esprits parce qu’il est d’une tissure plus ferme, [lettre d'Antoine de Jussieu membre de l’Académie Royale des Sciences, 14 août 1722 ]

Il en existe deux variétés: l’une dite Café du pays, à graine ovale (dans le commerce on dit café rond), et celle dite Café Leroy, dont le port est différent, à graine allongée (dans le commerce, café pointu). La variété Café du pays possède un arôme supérieur [E. JACOB DE CORDEMOY, Flore de l’île de La Réunion, 1895 pages 506, 507]

"Il a cet inconvénient d’être l’arabica le plus faible en caféine. Pur, il n’a pas de corps, c’est une infusion". Pascal Boutet A.P.C.B.P. [in le Quotidien du 02/10/2006]

A la demande de Marc Rivière,  la maison Malongo a procédé à une dégustation comparative du pointu de Bourbon de la souche de grand Bassin , du Bourbon rouge du Guatemala Altiplano et du Blue Montain de Jamaïque. Voici un extrait de la lettre adressée le 3 août 2006 par le Directeur Général de la maison Malongo à Marc Rivière.
« Nous avons bien réceptionné votre échantillon de café vert (lot RM 156) et nous l’avons goûté à deux intervalles différents, le jour de sa torréfaction (cf fiche de dégustation en annexe) et trois jours après.
Ce produit présente la spécificité d’être fin, délicat et très parfumé. Son acidité est moyenne. le corps et l’amertume sont faibles. On note une touche vanille. C’est un produit très singulier. De grande qualité, il est le meilleur échantillon que nous ayons réceptionné à ce jour de la Réunion. »

Suit la fiche technique détaillée. "En note générale, l’ordre est le suivant : Bourbon du Guatemala : 9/9, pointu de Bourbon : 7/9 et Blue Montain : 6/9."

Dans les cinq dernières années du XXe siècle, l’intérêt montré par les Japonais pour « une variété de café de luxe originaire de la Réunion » est à l’origine d’un nouvel engouement pour le café.
Le Conseil Régional y voit un élargissement de l’activité économique de la Réunion.
Le CIRAD est chargé d’étudier la fiabilité du projet de relance de la filière café.
A l’Université, un historien travaille à la rédaction d’un livre sur l’histoire du café à la Réunion.
Une doctorante entreprend une thèse sur l’identification du café en question, présenté sous le nom scientifique de "Coffea arabica var.laurina" et sous le nom vernaculaire de café Leroy. La médiatisation du projet de relance de la filière café se fait sur un nom que les Réunionnais n’avaient jamais utilisé pour désigner le café en question : Bourbon pointu.
Parallèlement aux initiatives officielles, l’association les Amis des Plantes et de la Nature, dont les observations sur les précautions à prendre pour ne pas rééditer l’expérience malheureuse du thé n’avaient pas été entendues, entreprend autour d’un de ses membres, Marc Rivière, de faire des recherches sur la plante.

Dans le monde économique, une course de vitesse s’engage. Des associations se créent. Dans un premier temps, les conditions de mise en culture des parcelles d’essai font l’unanimité.

éléments qui vont jouer sur la nouveauté du produit pour rééditer le schéma désormais classique mis en place avec la vanille: une société ayant son port d’attache à la Réunion, bénéficiant éventuellement d’aides économiques de l’Europe, cultive le café à Madagascar et l’envoie à la Réunion sous forme de café vert à des prix défiant toute concurrence. Là, le café, torréfié, moulu et ensaché est mis dans le commerce sous forme de produit à forte plu value. Mais personne n’est au courant de cette initiative jusqu’au moment où paraît le livre de Marc Rivière, La Réunion et le café.

Mais très vite deux tendances se dessinent.
· Il y a ceux qui suivent le CIRAD et son programme (étalé sur cinq ou six ans) de sélection de semences, de conditions optimales de culture, d’étude de rendement, de conditionnement et de prospection de débouchés. Car l’objectif est de négocier au prix fort ce produit original.
· Et puis il y a ceux qui préfèrent jouer leur propre carte.
De.. cette deuxième catégorie.. se dégagent bientôt quelques

I – Des historiens timorés…
Le premier pavé est jeté par La Réunion et le café dans la mare de l’Université. Le livre Histoire d’une renommée, déjà sous presse, insiste en effet lourdement sur les trois versions véhiculées depuis la fin du XIXe siècle à propos de l’identité du Coffea laurina : café importé en 1771 pour les uns, café ayant muté à partir de la souche importée en 1715, ou encore hybride du moka importé en 1715 et du café sauvage Coffea mauritiana.
Pourtant, dans la compilation conséquente offerte par le livre existaient les preuves de la version de Marc Rivière : le Coffea laurina avait été repéré par plusieurs témoins avant que les caféiers de Moka eussent été importés. Il avait été identifié et décrit. Il était le deuxième café sauvage poussant dans les forêts de Bourbon.
La position timorée de l’historien, la défaillance de son regard critique sur les documents d’époque n’étaient pas sans conséquence pour ceux, qui, dans le domaine de la recherche, travaillaient sur le Coffea laurina.

Prix imposé et prix vérité

Quel était le prix rêvé, celui qui circulait dans les conversations plus ou moins officielles il y a six ans ? 30 ? 40 ? 50 € le kilo de café vert ? Aujourd’hui, de quel côté qu’on se tourne, le kilo se négocie aux alentours de 12 €. Quel est le prix négocié par la Région dans la contrat avec la Ueshima coffee corporation ?
Un bon cueilleur récolte, au plus, 25 kilos de baies mures à point par jour,
Il faut entre 8 kilos et 8,5 kilos de baies pour obtenir 1 kilo de café vert.
Sur la base du SMIC , une journée de récolte reviendra à 55 € et le kilo récolté coûtera ±2,20€.
Le kilo de café vert revient donc en frais de récolte à .............2,20x 8= 17,6€
Si on tient compte des frais d'entretien du champ évalués arbitrairement à ±1€ , au dépulpage, au séchage et au décorticage évalués à 7€ il faudrait vendre le kilo de café vert 17,6+7+1 = 24,6 € .

............................... soit près de 25€

En effet, en déduisant que le Coffea laurina était appelé à tort Bourbon pointu puisqu’il avait existé avant l’importation de la variété qui allait prendre le nom de Bourbon, le livre La Réunion et le café de Marc Rivière jetait un deuxième pavé dans la mare de la doctorante et de toutes les sommités qui, tant à l’Université de Saint-Denis qu’à l'IRD de Montpellier et de Saint-Pierre s’étaient objectivement engagés à accompagner et valider une recherche de trois ans basée le postulat que:
« le caféier Coffea arabica var. laurina, aussi appelé Bourbon pointu, est apparu à la Réunion suite à une mutation spontanée de la variété Bourbon ». [Phrase introductive du résumé présentant la soutenance de thèse, in message No 11655716809 de BRED].

Et ce n’était pas tout. À partir de quelles observations sur quels sujets avait été constaté le nanisme du Coffea laurina que la thèse présentait comme une caractéristique de la variété ? À partir de sujets issus de graines collectées chez des particuliers par le CIRAD ? En tout cas, la photo présentée à la page 63 du livre de Marc Rivière rendait ce constat plus que suspect. D’autant plus que le plant de café présenté était issu d’une souche pure retrouvée au fond des forêts et que sa croissance avait été suivie par l’auteur de La Réunion et le café.

.................AVIS DE SOUTENANCE DE THESE........................... ....................Le lundi 11 décembre 2006
Mademoiselle Aurélie LECOLIER soutiendra sa thèse de doctorat en Génétique, intitulée : « Caractérisation de certains impacts de la mutation Laurina chez Coffea arabica L. aux niveaux histo-morphologique et moléculaire »
le lundi ll décembre 2006, à partir de 9 heures
Amphithéâtre I.U.P , Institut Universitaire de Technologies
COMPOSITION DU JURY
- Madame Pascale BESSE, Professeur, Université de la Réunion
- Monsieur André CHARRIER, Professeur, ENSA Montpellier
- Monsieur James TREGEAR , H.D.R., I.R.D Montpellier
- Monsieur Michel NOIROT, HDR, IRD Pole 3 P. Saint Pierre
- Monsieur Dominique STRASBERG, Professeur, Université de La Réunion
Résumé
Le caféier Coffea arabica var. Laurina, aussi appelé Bourbon Pointu, est apparu àla Réunion suite à une mutation spontanée de la variété Bourbon. Cette mutation Laurina, monolocus et récessive, a des effets pléiotropiques. qui différencie le Bourbon pointu du Bourbon. Au niveau morphologique, elle se caractérise par un nanisme, un port pyramidal et une forme pointue de ses graines. A un niveau moléculaire, la teneur des grains en caféine est fortement réduite. Malgré des caractéristiques agronomiques d’intérêt et d’excellentes qualités organoleptiques, peu d’études sont disponibles sur ce mutant naturel. Ce travail a ainsi pour objectif d’étudier la mutation Laurina et d’en caractériser les effets afin de mieux décrire les cascades de réaction mises en place. Il se base sur la comparaison du Bourbon pointu avec sa variété parente Bourbon. Au niveau morphologique, des mesures de croissance végétative ont permis l’analyse et l’explication de la forme pyramidale du mutant. Au niveau histologique, l’étude de l’apex, centre initiateur des organes de surface, et de différents entre-noeuds de l’axe orthotrope a permis d’expliquer l’origine du nanisme en terme de division et d’élongation cellulaire. Des hypothèses quant à l’action de la mutation Laurina sur certaines hormones ont été émises à partir des résultats d’application de gibbérelline exogène. Ces études macro et microscopiques ont été couplées au niveau moléculaire à la recherche de gènes différentiellement exprimés entre les deux variétés. La comparaison des transcriptomes des deux variétés à un stade précoce post-cotylédonaire avait pour but la recherche de gènes candidats impliqués dans les premières cascades de réactions menant aux effets pléiotropiques observés. Le clonage différentiel basé sur la méthode SSH (Hybridation Suppressive Soustractive) couplé à une étape de tri à haut débit (macro-array) a été appliqué à ces fins. L’ensemble des résultats décrit plus précisément les effets pléiotropiques induits par la mutation Laurina. La description précise des effets pléiotropiques de la mutation ouvre des pistes quant à la caractérisation moléculaire de la mutation à travers une approche gène candidat.
La soutenance est publique

Le troisième pavé tombait dans la mare du CIRAD avec la parution d’un long article dans le Quotidien de la Réunion du 2 octobre 2006. En annonçant la mise sur le marché d’un produit commercialisé sous le nom de Bourbon pointu, l’Association de Protection du Café Bourbon Pointu (APCBP) qui avait misé sur du café cultivé à Madagascar et commercialisé à la Réunion prenait le devant sur le plan mûri par le CIRAD en devenant la référence en matière de label et de prix.

La polémique qui s’engageait dans la presse révélait que les cultivateurs qui suivraient le projet du CIRAD ne pourraient pas, en situation réelle de production, supporter les frais qui leur incombaient.

Pis ! Le promoteur du nouveau produit était contraint de reconnaître que ce qu’il allait commercialiser sous le nom de Bourbon pointu était un mélange dans lequel le Coffea laurina n’entrait que pour une infime proportion. Le plan de relance voulu par la Région n’étant pas encore arrivé à sa phase commerciale, pendant plusieurs mois donc le goût de référence du pointu allait être celui d’un café qui n’était pas le pointu : un comble pour un produit dont toute la promotion devait se faire sur la spécificité de la saveur ! Or, ce désastre se lisait entre les lignes de l’analyse de Marc Rivière

Peut-on, dès lors, considérer que l’opération de communication que représente la photo du Président du Conseil Régional aux côtés du représentant de la Ueshima coffee corporation (le Quotidien du 24/01/2007) est un joker ? Une carte de la dernière chance de l’initiateur de la relance du café qui, conscient de la gravité de la situation, est monté en première ligne ?

On peut l’interpréter ainsi, si l’objectif était de jouer la carte du tout commerce international. En effet, le choix d’un interlocuteur privilégié peut assurer l’écoulement d’une production, somme toute peu importante. Il reste à espérer que la production commercialisée restera, dans sa totalité, fidèle à la qualité de l’échantillon présenté aux visiteurs japonais.

En définitive, pour gagner la bataille, il faut d’abord évacuer l’amalgame que véhicule le nom « Bourbon pointu » en l’appelant « café pointu » ou « pointu de Bourbon ».

Dans le même temps, il faut faire redécouvrir aux Réunionnais le pointu là où il existe : comment discerner les arbustes de cette variété des autres cafés, quand cueillir, comment traiter la cueillette, comment torréfier, doser, etc… Cette accoutumance au goût est la meilleure promotion.

C’est cet environnement favorable au café pointu qui permettra aux producteurs, en ne se fiant pas à la seule exportation, de passer par dessus le déséquilibre entre le coût de production et le prix de vente à l’intermédiaire en allant, pour ceux qui le souhaiteraient, directement du producteur au consommateur. .......Roger Théodora, Mars 2007

Nos craintes étaient justifiées

Le 22/04/2007, la presse a rendu compte d'une conférence de presse donnée conjointement par la Région Réunion et le Cirad le 20/04/2007. "Difficile d'imaginer le laurina remplacer la canne, même après 2014 et la fin des aides à la filière sucre. Plus modestement, la Région et le Cirad espèrent dans un premier temps convaincre 200 exploitants de se lancer dans l'aventure. C'en est bien une: il faut attendre trois ans pour une première récolte. Et ne pas espérer plus d'un Smic pour une surface de trois hectares." Le Quotidien du dimanche 22/04/07 page 7.
La Ueshima coffee corporation achètera le café vert à 12 € le kilo et revendra les 100 grammes à 50 € Le Journal de l'Île de la Réunion du dimanche 22/04/07 page

En 300 ans, les observations très contrastées dont il a fait l'objet ont entouré le pointu de mystère et ont été préjudiciables à sa renommée.
 
 
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Pour naviguer dans le dossier

1 - Le pointu de Bourbon, témoin de la préhistoire de la Réunion. (dossier enrichi)
2 - Quelques points de repère
3 - Des observations contrastées
4 - Les Japonais relancent le café pointu
5 - La course au trésor
6 - Et un, et deux, et trois pavés dans la mare
......I – des historiens timorés...
.....II – ...aux chercheurs piégés,
....III – en passant par la naïveté du CIRAD
7 - Quel avenir pour le pointu ? ..................................... 8 - Notre analyse était fondée.

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Des observations contrastées
Morphologie

 

Composition chimique

 

 

 

Les Japonais relancent le café pointu

Arôme et saveur

La course au trésor

 
 
   

Et un, et deux, et trois pavés dans la mare…

 
 

II – … aux chercheurs piégés

III – en passant par la naïveté du CIRAD

Quel avenir pour le pointu ?