Des squelettes sans histoire ? Les squelettes mis à jour par le raz de marée cyclonique rappellent étrangement ceux qui ont été mis à jour au cours de travaux de terrassement menés à Saint Pierre en 1983 et 2000. Ayant consacré tout le chapitre 29 de mon livre Candide et l’ancien puits à la question, je me permets, bien que je ne sois ni historien, ni archéologue, ni anthropologue, ni géologue, d’apporter ici quelques observations d’homme de bon sens sur ce point d’actualité. L’analyse du relief du cimetière et de son environnement côté mer avant le raz de marée est essentielle pour écarter certaines hypothèses (cimetière d’esclaves, fosse commune creusée à l’occasion de l’épidémie de 1729) qui ont été envisagées ces derniers jours. Le cimetière, ouvert en 1788 a été délimité de façon définitive dès sa création. Il se trouve sur une dune stable puisqu’il existait, côté mer, un passage extérieur aménagé, en partie détruit par Gamède. Le cimetière se trouve au niveau ± 3 m et la mer était distante d’environ 25 mètres ce qui donne une pente moyenne de 8%. Il y a eu, bien sûr, des raz de marée avant celui de Gamède. Mais la modification du littoral, sans aller jusqu’à atteindre la base du cimetière, a pu s’approcher à dix mètres du mur sans affouiller la partie de la dune renfermant les squelettes (la pente de 18% étant encore suffisante pour attendre une reconstitution de la partie entamée. Si cette fois-ci, les vagues dévastatrices ont balayé le littoral saint-paulois, c’est parce que, comme l’explique bien Georges Marie Lépinay (courrier « Et si… » dans le JIR du 3 mars) on a déstabilisé plus au nord le relief qui protégeait la partie du littoral endommagée par Gamède. Les squelettes (je prends comme référence le crâne encore prisonnier de la gangue de sable) se trouvaient à ± 2m de profondeur. S’ils ont été inhumés pendant la période d’occupation définitive de l’île, ils l’ont été après 1830, voire 1844 puisque auparavant les fosses ne dépassaient pas 1m de profondeur.
De plus, il semble que les corps aient été inhumés assez près les uns des autres. Ce qui pose la question de la difficulté de creuser dans le sable des fosses de 2 mètres de profondeur sans endommager les restes déjà en terre. La réponse à cette dernière énigme serait que les corps ont été inhumés à faible profondeur et que par la suite, l’épaisseur de la dune a augmenté sous l’action de phénomènes naturels conjugués (vents et courants marins réguliers). La superposition de calques de cartes du littoral de Saint Paul, de l’embouchure de l’étang jusqu’au cap La Houssaye depuis 1732 jusqu’à la dernière photo aérienne faite par l’IGN, montrant qu’il n’y a pas eu de modification notable du littoral prêchent en effet pour une évolution des dunes constante et étalée dans le temps. Cette hypothèse sous-entend que les restes humains en question étaient déjà à cet emplacement bien longtemps avant que le cimetière actuel eût été installé sur cette dune considérée comme suffisamment stable pour accueillir les sépultures de la classe aisée de Saint-Paul. Il y a ainsi, à mon avis, 99 chances sur 100 pour que ces squelettes aient été inhumés à la même époque que ceux de Saint Pierre. La sédimentation plus importante dans le sud est due à la présence d’alluvions charriées depuis l’arrière pays alors que ce n’est pas le cas dans la zone du cimetière marin de Saint Paul. L’inhumation a été en conséquence bien antérieure à l’arrivée des occupants définitifs. Il appartient donc à des archéologues et anthropologues compétents de dégager des restes humains et d’éventuels objets associés à ces dépouilles, de les faire analyser pour les dater et en tirer tous les renseignements possibles. Mais ce ne serait qu’un début. Dans mon livre, j’insiste sur la quasi-inexistence de travaux d’histoire sur la période antérieure à l’arrivée des Européens dans cette région du monde et sur la nécessité pour les chercheurs d’abandonner les a priori et prises de position sentimentales hérités de la période coloniale. Je réaffirme avec force que seul un programme de recherche pluridisciplinaire international associant archéologues, historiens, ethnologues, climatologues et géologues… sera en mesure de faire progresser rapidement la connaissance de la période. Mais le plus urgent est de combler le vide qui caractérise l’archéologie à la Réunion. Nous avons en effet la spécificité d’être la seule région française à ne pas disposer d’un service archéologique moderne. Le service du patrimoine de la DRAC Réunion est un fourre tout où l’archéologie n’est qu’un mot. Il faut savoir en effet, qu’en 1972, année où la coordination de l’archéologie moderne a démarré au niveau international avec la Convention pour la Protection du Patrimoine Mondial, Culturel et Naturel signée à Paris le23 novembre 1972, la France, signataire de cette convention, a normalisé par arrêté du 25 mai 1972 la situation de la Guyane, la Guadeloupe et la Martinique qui ont été dotées d'une direction de circonscription archéologique. Cette disposition ne s’est pas étendue à la Réunion. De ce fait, entre 1972 et 2006, les textes qui ont précisé les compétences et moyens des D.C.A, devenues en 1991 des services régionaux d’archéologie, n’ont jamais fait mention de la Réunion. Même le cas de Mayotte a été pris en compte de façon claire dans le décret 94-423 du 27 mai 1994 remplaçant la CSRA par la CNRA et créant les CIRA (commissions interrégionales archéologiques) . Le dernier texte à intéresser la Réunion est la circulaire du 2 décembre 1987 relative au fonctionnement et à l'organisation des directions régionales des affaires culturelles. C’est lui qui pérennise l’inexistence objective d’un service d’archéologie moderne à la Réunion. Le résultat ? Où est la carte archéologique régionale qui aurait dû être entreprise depuis 1991 comme cela s’est fait sur tout le reste du territoire national ? Où est le rapport de la découverte de 2000 à Saint Pierre ? Et les rapports d’intervention sur des sites du marronnage et notamment celle confiée par la DRAC à Olivier Fontaine en 2004au Tapcal (JIR du 30 mai 2004) ? Que sont devenus les vestiges archéologiques trouvés sur ces sites ? Le comble c’est qu’à la Réunion, toutes ces « spécificités » sont autant d’infractions aux articles 1, 2, 3 et 4 de la Convention européenne pour la protection du patrimoine archéologique, dite Convention de Malte, signée à Malte le 16 janvier 1992. Pourtant, la France a signé cette convention, elle l’a ratifiée le 6 mai 1992. Elle en a fixé l'entrée en vigueur au 10 janvier 1996 par le décret n°95-1039 du 18 septembre 1995. Sans l’activisme – le terme n’est pas ici péjoratif - du GRAHTER, petite association sans moyens, qui a secoué le cocotier en alertant la Maison des Civilisations et en sollicitant l’intervention de l’INRAP, il y a de fortes chances que la découverte de Saint Paul aurait connu le sort de celles de 1978, 1983, 2000, ainsi que celles de sites marrons entre 1983 et 2004. Mais s’il faut s’en réjouir, il faut en même temps reconnaître que cette opération dont il faut souhaiter la réussite est le cache sexe à notre nudité dans le domaine archéologique. Et quand bien même une convention serait signée entre la DRAC, la MCUR et le GRAHTER, elle serait fragile car basée sur un partenariat entre deux associations dont la collaboration pourrait être remise en cause par d’éventuelles divergences dans les choix et une administration qui a montré ses limites tout au long de ces dernières décennies. Seul un service archéologique régional s’appuyant sur une législation internationale et nationale rigoureuse, disposant de moyens financiers sûrs et d’une logistique technique de qualité peut apporter une solution au problème. Et c’est la simple application du droit commun qui y pourvoira. Tampon le 05/02/2007, Roger Théodora. Cette communication a été envoyée le 9 mars 2007 au Journal de l'Ile de la Réunion, le 10 mars 2007 à Témoignages et Le Quotidien de la Réunion. Le JIR y a consacré une page dans son édition du dimanche 11 mars, le quotidien a publié une grande partie du document . |
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