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janvier 2009
Tamarins, oui! Baobabs, non!
En ce début d’année a eu lieu, dans une relative discrétion, un événement intéressant pour l’aménagement du territoire réunionnais. Il s’agit du lancement de la végétalisation des abords de la Route des Tamarins.
Avec une densité d’environ 15 arbres par mètre linéaire de route, l’entreprise est à la mesure de l’importance de l’ouvrage. Il faut saluer, en outre, l’effort fait pour repeupler la zone en bois d’arnette, bois de natte, bois rouge, et bien d’autres espèces endémiques et indigènes dont certaines, en voie de disparition, avaient été détruites par le chantier.
Et que le tamarinier*, bien qu’exotique, y ait sa place est tout à fait normal. Probablement introduits avant l’installation définitive des hommes, quelques vénérables spécimens furent signalés pour la première fois en 1705 à Saint Paul. Depuis, l’espèce s’est imposée au fil des siècles dans notre palette gustative, dans notre cuisine, dans notre imaginaire même.
Il y avait, en revanche, quelque chose d’incongru dans les propos du technicien qui présenta le baobab comme « l’arbre emblématique de la route ». Car cet arbre dont deux exemplaires ont été plantés il y a près de cent ans dans la cour des anciens locaux des Travaux publics à Saint Denis ne représente rien pour les Réunionnais.
Qui a donc eu l’idée saugrenue d’agrémenter de cette espèce la zone de Plateau Caillou? Le choix est-il le fruit de la manipulation de politiques par un de ces technocrates ignorants de la réalité réunionnaise et à la culture réduite à quelques clichés exotiques ?
Prenons garde que les lubies de ces faiseurs d’opinion ne modifient l’environnement dans lequel nous vivons au point que fidèles à notre goût, notre pensée, notre imaginaire, nous finissions par nous sentir étrangers dans notre île. Mais ne serait-ce pas l’objectif de la bataille idéologique qui se poursuit depuis des décennies ? ..... R.T.
* Tamarindus indicus, exotique, à ne pas confondre avec le tamarin des Hauts (Acacia heterophylla) endémique de La Réunion
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février 2009
Larg nout lourlé, Bwana! Ne nous provoque pas, Bwana!
Se référant à « on »*, Madame Dominique Versini, défenseure proclamée des enfants et voix autorisée sur cette question au niveau international s’est crue en devoir de stigmatiser une spécificité réunionnaise de plus : le dressage des enfants.
Stigmatisation pour stigmatisation: quelle différence y a-t-il entre un Français qui n’a jamais quitté son Hexagone et un Français que la conquête du monde a poussé sur les rivages de la Réunion? C’est que le deuxième est la mutation psychologique quasi-obligée du premier à l’instant où il pose les pieds sur le sol de cette colonie bénie.
Ce contact avec notre sol révèle en lui un être nouveau digne d’étude. Le voilà imbu d’un devoir d’ingérence dans notre vécu au nom du principe qu’hors de ses propres valeurs il n’y a pas de civilisation. Sans le moindre doute sur la supériorité de celles-ci et comme pour justifier sa propre place dans la mission civilisatrice de la France sur cette île où il est, suivant ses propres paroles « chez lui », où il est, n’en déplaise à certains Réunionnais cooptés qu’il encense, chef de tout, il s’efforce, à partir du premier fait-divers venu, de cataloguer une identité qu’il croit avoir appréciée de façon définitive au bout de quelques heures de séjour, à user de sa norme pour éradiquer des pratiques qu’il juge inacceptables, à initier et appliquer des règlements inadaptés, bref, à refonder une civilisation réunionnaise à son goût en dehors des autochtones que nous sommes et contre nous.
Il en résulte qu’à partir de l’image qu’il en donne dans ses médias nationaux et locaux, le Kréol Larényon est adepte de la dilapidation de la faune et de la flore, de la maltraitance des animaux… et des enfants bien sûr, de l’éthylisme, de l’inceste et autres comportements ataviques répréhensibles …
Le comble et signe d’une colonisation triomphante, c’est l’acquiescement auto-dévalorisant obtenu d’un grand nombre d’autochtones sous influence.
.R.T.
* voir ci-dessous l'encadré « Koz pou di kwé!/Quand le silence est d’or! »
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mars 2009
La Réunion, plus que jamais bateau fou !
Selon l’INSEE, à la Réunion, 51% de la population vivent au dessous du seuil de pauvreté. C’est dire l’importance de la remise en cause d’un coût de la vie bien plus élevé que celui de l’Hexagone. En entreprenant sa croisade pour une baisse du coût de la vie, le COSPAR avait su s’attirer la sympathie de l’opinion. Hélas, C’était trop beau !
Dès la parution dans la presse du 21 mars de la liste des 500 produits de « première nécessité » choisis par le collectif, les commentaires tantôt narquois, tantôt scandalisés, mais toujours judicieux ont fleuri dans les médias.
Il faut dire qu’il est malvenu, voire pervers, dans une île où le diabète est un fléau, de considérer comme produits de première nécessité les crèmes dessert, les confiseries M&M’s, Kit kat, les biscuits salés et sucrés, les sirops, viennoiseries, les mayonnaises, frites industrielles, le Coca cola et la limonade Cot.
Quant à la réponse « Les pauvres ne sont pas un peuple de sous-marque. Eux aussi ont droit à des produits de marque, c’est-à-dire de qualité, » faite aux critiques que suscite le choix de déodorants pour homme Axe et autres Scorpio, aux Whiskas riche viande pour chiens, elle donne une idée du modèle sociétal et de l’idéal de consommation adoptés par ceux qui se présentent comme les représentants du plus grand nombre des Réunionnais.
Voilà qui est inquiétant quand on sait que dans quelques semaines, ces mêmes représentants de la population réunionnaise et leurs clones politiques et économiques seront invités à faire des propositions pour un développement durable de La Réunion.
R.T.
mai 2009
Vacances volées aux familles…
Depuis que le Conseil général a décidé, toutes tendances politiques confondues, de vendre l’ancien V.V.F. (village pour les vacances des familles), la protestation n’a cessé d’enfler.
La population a été dès le début d’autant plus indignée que lors de la séance consacrée à la vente des éléments du patrimoine du département dont faisait partie cette structure, la figure de proue d’un Parti « se réclamant de gauche » a eu le mauvais goût de considérer comme futile la prétention des couches sociales modestes à bénéficier du bord de mer saint-gillois.
Refusant d’être récupéré par les politiques, le mouvement comptant plusieurs associations s’est constitué en collectif et en appelle à la mobilisation la plus large de l’opinion.
C’est une illustration de plus de la conviction que, ces dernières années, les Réunionnais ont eue que, dans leur grande majorité, les hommes politiques réunionnais, circonscrits à des décisions dictées par les postulats de la pensée unique et mises en avant par les technocrates de leur entourage, ne pouvaient plus user de leur libre arbitre et étaient de plus en plus coupés des préoccupations de la population, de ses aspirations et de sa vision de l’aménagement d’une île dont elle est de plus en plus exclue au profit de lobbies de toutes sortes.
L’émergence et l’action efficace de collectifs pour la sauvegarde du patrimoine (Plaine des Sables, Grande Chaloupe) et pour la défense du cadre et du niveau de vie des Réunionnais (Grande Anse, V.V.F., coût de la vie, etc.) sont une sérieuse remise en cause de la conception de la démocratie représentative qu’ont les politiques qui, dans le cocon de leurs assemblées, ont cru jusqu’à présent avoir carte blanche, une fois élus sur des programmes flous, pour décider de façon parfois désinvolte de toute la vie d’une île.
R.T.
Octobre 2009
Patrimoine à trous, limites de la recherche historique et brouillage mémoriel.
Quand le 18 septembre 2009, parlant du patrimoine, au journal de 19h 30 de RFO, le Directeur régional des Affaires culturelles Jean Marc Boyer déclarait : « il ne faut pas tout protéger… il faut conserver les éléments significatifs, des éléments importants » il enfonçait une porte ouverte puisque ses propos reflétaient une pratique qui existe depuis toujours à la Réunion.
Il aurait été lucide s’il avait ajouté que lors du choix des « éléments significatifs » du patrimoine et de la connaissance historique, le discernement s’est toujours réduit à la discrimination.
Les brochures présentant les journées européennes du patrimoine ne manquent pas de proposer au public la visite des fleurons de l’architecture créole en insistant sur les efforts faits pour les protéger et les restaurer en cas de besoin. C’est ainsi que la Villa Déramond-Barre qui abrite aujourd’hui le Service départemental de l’Architecture et du Patrimoine est classée monument historique. Normal !C’est, dans le patrimoine de la Colonie, un « élément significatif » illustrant son histoire officielle, romancée, médiatisée à souhait et admise dans la pensée dominante historique comme digne d’alimenter la mémoire de tous les Réunionnais. En plus, c’est le lieu de naissance d’un Réunionnais qui eut une stature nationale.
Lorsqu’en 1977 la gestion des musées Léon Dierx et de Saint Gilles les Hauts fut une véritable menace pour le patrimoine qui s’y trouvait, des Réunionnais qui appartenaient à la classe sociale dont l’histoire et la mémoire risquaient d’être amputées « d’éléments patrimoniaux significatifs » mirent sur pied l’Association pour la Sauvegarde du Patrimoine Réunionnais.
En revanche, pour ne prendre dans différents secteurs du patrimoine que quelques exemples entre cent, le registre d’affranchissement des esclaves de Saint-Paul en 1848 a probablement été détruit parce que peu « significatif ». Peu « significatifs » également, des cartons d’archives relatifs à l’esclavage ont été brûlés sur ordre d’un préfet dans les années soixante.
Plus tard ce fut l’administration pénitentiaire qui jugea peu « significatives » les archives de la prison de Saint Denis. Le contenu d’une malle d’archives de la paroisse de Saint Leu fut emprunté par un chercheur à un ancien curé. Confiant, ce dernier ne prit pas pris la précaution de demander un accusé de réception. Il mourut peu après. Les documents qui avaient intéressé le chercheur parce qu’il pensait y trouver des informations inédites sur la révolte des esclaves de 1811 n’ont jamais été restitués. Plusieurs personnalités réunionnaises le savent. On les voit, on entend, on lit leurs propos dans les médias sur le patrimoine, l’identité. Ont-elles jugé « non significatifs » les documents "empruntés" au point de ne pas s’inquiéter de leur non restitution?
Un haut magistrat emprunta un jour les archives du procès de Sitarane. Il ne les a jamais restituées. Qui s’en est inquiété alors qu’il en était encore temps ? Mais sans doute ne présentaient-elles pas « un intérêt historique et sociologique significatif ».
Pour ne pas être en reste, en 2001 l’administration, à la tête de laquelle le nouveau DRAC vient d’être nommé, donna sa bénédiction à une équipe incompétente en archéologie pour une intervention sur un site de marrons. Sans doute, parce que ce lieu et les vestiges qui s’y trouvaient n’étaient pas des « éléments significatifs » du patrimoine réunionnais, l’intervention tourna au désastre et la DRAC, si le rapport d’intervention en principe obligatoire lui fut remis, ne jugea pas opportun de l’archiver.
En 2006, le chef du Service départemental de l’Architecture en poste ne protégea pas la maison Zadvat des démolisseurs parce qu’il l’estimait peu « significative ». Il avait une excuse originale pour sa fonction : il avoua qu’il ne savait même pas quand elle avait été construite.
Du côté des Archives départementales, l’étude d’une histoire dont bien des aspects sont encore mal connus est de plus en plus aléatoire du fait de l’état déplorable de certains fonds. On a mis l’accent sur les dégâts causés par des cyclones et des termites sur les fonds anciens.
Certes ! Mais les conditions objectives de conservation des fonds n’ont théoriquement cessé de s’améliorer depuis quarante ans. Et il n’empêche que des documents auxquels j’ai eu l’occasion d’accéder à dans les années 1990, avant le déménagement des archives dans le nouveau bâtiment ne sont plus consultables aujourd’hui. L'image avantageuse des Archives présentée dans les médias et journées portes ouvertes ne correspond pas à la réalité: la numérisation d'envergure de documents se fait attendre. Il faudrait multiplier par trois ou quatre le service de restauration pour sauver ce qui peut l'être encore.
Que dire des fonds récents, sinon que la discrétion sur leur dégradation est de mise ? Par exemple, a-t-on, dans les médias, jamais lu, entendu ou vu des alertes sur la dégradation de la presse du vingtième siècle ? Cela ferait mauvais genre pour un service installé dans un immeuble construit il y a une dizaine d'années pour accueillir des archives dans des conditions répondant aux exigences les plus récentes.
Et pourtant, cette dégradation est édifiante. Il suffit, pour s’en convaincre, de consulter le répertoire accessible à tout le monde.
Seulement 11% des collections des journaux « le Peuple » et « le Progrès » des années 1933 à 1941 sont encore dans un état convenable. Il faut une autorisation spéciale pour consulter 31% des journaux en très mauvais état et il n’est plus possible de consulter les 58 % totalement délabrés. On ne peut plus accéder à la presse des années 1935 et 1940.
Pour la période allant de 1942 à 1951, les collections de sept parutions (Croix sud, le Cri du Peuple, la Démocratie, le Progrès, le Peuple, Témoignages et le JIR) sont globalement en bon état dans une proportion de 30% seulement. Sur les 70% restant, 20% ne sont plus consultables. Les collections de 1949 et 1951 de toutes les parutions sont soit en très mauvais état, soit délabrées.
Entre la date de leur fondation et 1976, seulement 9% des cartons de Témoignages et 11% de ceux du JIR sont en bon état. 59% des cartons de Témoignages et 31% de ceux du JIR ne sont plus communicables. On ne peut plus consulter les collections de Témoignages et du JIR des années 1954, 1955, 1958, 1959, 1963, 1967 et 1975.
Or ces deux organes furent le reflet constant de l’irréductibilité politique et culturelle de deux camps antagonistes pendant les trente années concernées. Les archives concernant les affaires « significatives » de la période n’étant pas encore toutes tombées dans le domaine public, la dégradation de pans entiers des collections des deux journaux représente un manque inestimable pour la connaissance historique.
En s'inscrivant dans la continuité du sort réservé aux archives de la période coloniale, elle contribue à comprendre tous les décalages, toutes les ambiguités et parfois les incohérences caractérisant la relation des Réunionnais avec leur passé et leur identité.
C'est que dans une société de tradition orale structurée et stable la mémoire se situe sur la même longueur d’onde que l’histoire avec laquelle elle peut fonctioner en interaction. Dans une société de tradition orale dispersée, fragilisée, agressée par des valeurs, des normes, des pratiques ne correspondant pas aux siennes, la mémoire peut être victime de pollutions toujours réductrices du passé. La grande majorité de la population de La Réunion a dû bien souvent au cours de son histoire composer avec le deuxième cas de figure. Et les bouleversements intervenus ces quarante dernières années ont accéléré le processus. Les souvenirs des gramoun ne peuvent donc dans ce cas suffire à pallier la défection de sources écrites.
En retour - et les exemples donnés plus haut sont là pour le prouver - le tri idéologique, le pillage, la destruction volontaire ou par négligence des traces écrites de faits historiques considérés comme non significatifs, inopportuns par les tenants de l’idéologie dominante rendent impossible une connaissance de plus en plus affinée de l'histoire susceptible de consolider, d’impulser un regain de vivacité aux souvenirs transmis par la tradition orale. Conséquence de ce cercle vicieux, des pans entiers du patrimoine ne sont plus alors perçus comme la matérialisation de l’histoire et la référence mémorielle, mais, pour reprendre cette appréciation souvent entendue, « in bann vyé zafèr i vo pi la pinn aranzé, ramasé ».
Au contraire, ses insuffisances alimentent un brouillage mémoriel qui engendre inévitablement des conséquences négatives sur l'appréciation que les Réunionnais ont de leur parcours identitaire, avec ses hauts et ses bas, avec ses ratés mais aussi avec ses avancées exemplaires, sur l'estime qu'ils ont d'eux-mêmes et sur leur comportement hésitant face à une mondialisation dévorante. Et comme pour conjurer cette réalité qui l'interpelle, la classe politique réunionnaise se réfugie derrière une entreprise de communication, acharnée au point d'être suspecte, qui focalise l'attention de tous sur des réalisations et projets techniques spectaculaires, sans doute, mais qui ne remédieront pas à ce handicap dont j'ose dire qu'il est structurel aux autochtones de cette île.
R.T.
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